dimanche 28 janvier 2018

Sortir de l'ego

En lisant le journal de Charles Juliet, j'ai été très sensible à sa définition de l'ego. Bien sûr, il n'est pas le premier à nous en parler : les bouddhistes, les adeptes du développement personnel, de la méditation et de nombreuses tarditions... nous ont déjà donné maintes définitions et moyens d'en sortir et de faire connaissance avec l'être que nous sommes vraiment. Mais j'aime la façon très personnelle dont Charles Juliet l'envisage. Elle me parle davantage qu'un discours s'adressant à tous, et donc trop impersonnel à mon goût :




« Le moi, l’ego, c’est tout ce qui nous tient reclus en nous-même tant que nous ne nous sommes pas libérés de ce qui nous enferme. C’est l’attachement à la mère, c’est l’enfance, c’est le passé, c’est l’inconscient, c’est notre manière de penser et de nous comporter…C’est encore notre subjectivité, nos sentiments, nos passions, notre volonté de domination et de pouvoir, notre violence, etc…
Si je parle si souvent de la nécessité de se connaître, c’est parce que la connaissance de soi est d’une importance capitale. Chacun doit intervenir en lui-même pour éliminer ce qui l’entrave, le retient, l’empêche d’être lui-même. Ainsi, par exemple, si le lien à la mère n’est pas rompu, il n’est pas possible d’avoir une vie autonome.
Prendre conscience de tout ce qui constitue l’ego, de tous ses agissements, c’est devenir libre, c’est naître à soi-même, c’est vivre en accord avec soi.
Ce travail de remise en cause de tout ce qu’on est -idées, valeurs, liens, mobiles…- est si long, si coûteux, c’est un tel séisme que bien des êtres se découragent, prennent peur, rebroussent chemin, renoncent à conquérir leur liberté.  Ils restent alors jusqu’à la fin de leur existence sous l’emprise du moi, à s’apitoyer sur eux-mêmes.
Cet ego qu’il faut détrôner, il ne cesse de renaître, mais lorsqu’il a été démasqué, il ne domine plus, on sait déjouer ses ruses, ses roueries, ses mensonges, on a les moyens de le contrer, de lui résister, de ne plus lui obéir. » Charles Juliet (Journal)



Et lorsque nous parvenons à calmer notre ego, il est possible de se mettre à l'écoute de soi. Toujours extrait du journal de Charles Juliet : 

« La plus grande chose du monde est de savoir être à soi », a noté Montaigne. Disant cela, il mettait en évidence un besoin essentiel de l’être humain. A notre époque où tant d’informations, de mots, d’images, d’événements nous envahissent, nous chassent hors du for intérieur, ce besoin  se fait d’autant plus sentir. Mais être à soi n’advient qu’en de rares moments. Car la volonté n’a pas à intervenir. Il importe essentiellement que la pensée s’apaise, qu’elle se défasse de ce qui l’agite, qu’elle laisse le vide s’établir. Ces conditions étant remplies, alors l’être se trouve à même de s’abandonner, de s’ouvrir à la contemplation, de se mettre à l’écoute de sa part la plus intime. »



J'aime décidément cette écriture simple et directe, qui parle directement au coeur.

dimanche 21 janvier 2018

Curiosité blanche



Curiosité : voilà mon moteur. Et qui l'a mieux exprimée qu'Einstein ?

"L'important est de continuer à poser des questions. La curiosité a sa propre raison d'être. On ne peut s'empêcher d'être abasourdi en contemplant les mystères de l’Éternité, de la Vie, de la merveilleuse structure de la Réalité.
C'est assez si l'on essaye simplement d'appréhender un petit peu de ce mystère chaque jour. Ne perdez jamais de cette curiosité sacrée." Albert Einstein




Aujourd'hui, je pense à un mystère de saison, le flocon de neige.
L'univers des flocons de neige est si merveilleux que leur histoire est souvent évoquée comme un conte, et qu'ils ont inspiré bien des auteurs et des scientifiques, à commencer par Kepler : "A partir de ce presque Rien, un minuscule atome de neige, j'ai été proche de recréer l'Univers tout entier, qui contient tout !".

Et Orhan Pamuk, écrivain turc, nous entraîne dans leur magie :
"Ayant lu dans un ouvrage que pour un flocon de neige en forme d'étoile à six branches, il s'écoulait de huit à dix minutes entre sa formation dans le ciel et sa disparition après avoir touché terre, et ayant lu qu'en plus du vent, de la température et de la hauteur des nuages, le flocon était configuré par toute une série de facteurs mystérieux et incompréhensibles, le poète Ka eut l'intuition d'une correspondance, d'une résonance entre les flocons de neige et les êtres humains. A la base de la vie de chacun, il devait exister un tel flocon de neige, et chacun, en tentant d'élucider sa propre étoile de neige, pouvait révéler à quel point des personnes qui de loin se ressemblent, sont en réalité différentes, étrangères et non superposables."




Sans aller jusqu'à regarder le flocon au microscope, l'observation de la chute de neige nous entraîne déjà dans son mystère et sa poésie :

"Lire la neige, c'est comme écouter de la musique. Même quand il n'y a pas de chaleur, pas de nouvelle neige, pas de vent, _ même alors, la neige change. Comme si elle respirait _ comme si elle se condensait et s'élevait et retombait et se désintégrait." Peter Hoeg.




"La neige tombait autour de moi en grands flocons humides. Je pouvais voir l'espace entre chaque flocon, et tous les flocons ensemble produisaient une belle danse en trois dimensions. Auparavant, la neige me semblait tomber en rideau plat dans un plan en face de moi. J'avais l'impression de voir la chute de neige devant moi... Mais maintenant, je me sentais à l'intérieur, parmi les flocons de neige. Oubliant le déjeuner, je regardai la neige tomber pendant plusieurs minutes et, pendant que je regardais, j'étais submergée par une profonde sensation de beauté. Une chute de neige peut être très belle - surtout quand vous la voyez pour la première fois." Oliver Sacks





A cet instant, c'est en regardant la pluie tomber par la fenêtre que je pense à la neige : la pluie n'aurait-elle pas la même poésie ?

dimanche 14 janvier 2018

Mille chemins pour 2018



Depuis le 1er janvier, j'entends sans arrêt : "mes meilleurs voeux, bonne année et surtout bonne santé !"
C'est une litanie un peu monotone mais que (presque) tout le monde se sent obligé de répéter inlassablement.
J'ai donc eu envie, pour varier, de trouver quelques phrases, pas vraiment des vœux, plutôt ces phrases dites de "sagesse", proverbes ou citations, que l'on trouve un peu partout et qui ont au moins le mérite d'être un peu plus variées !
En voici donc quelques-unes, glanées deci-delà, et illustrées par des œuvres du street-art qui représentent l'art du quotidien, celui que nous pouvons voir chaque jour sur les murs de nos villes.





    Tout philosophe, quel qu’il soit, vous dira qu’aujourd’hui  est ce lendemain qui, hier encore, vous inquiétait.
    Les enfants persistent à suivre l’exemple de leurs parents, en dépit des efforts qui sont faits pour leur enseigner les bonnes manières.
    Les relations humaines les plus réussies sont celles où l’amour de l’un pour l’autre l’emporte sur le besoin  de  l’un pour l’autre.
    On ne connaîtra jamais toutes les réponses ; contentez-vous de connaître quelques-unes des questions.



    Nous devons extérioriser ce qui est au plus profond de nous-mêmes, à savoir ce sentiment de parenté qui nous unit à tous ceux qui partagent cette terre.
    Le besoin de sécurité a toujours été un frein aux entreprises le plus dignes.
    Tirons les leçons du passé, préparons notre avenir et vivons dans le présent.
    A trop s’inquiéter du lendemain, on en oublie le présent.
    Et si le génie, ce n’était que la faculté de percevoir les choses de manière inhabituelle ?
    Une fois que vous aurez les qualités pour réaliser les petites tâches, les grands travaux viendront à vous.

    Si vos rêves tombent en poussière, passez l’aspirateur.
    Apprenez à reconnaître vos qualités, ne les cachez pas : qu’est-ce qu’un cadran solaire dans la pénombre ?
    Ne faites pas de sermons : si vos convictions sont sincères, elles transparaitront dans vos actes.
    Pour les ignorants, le grand âge représente l’hiver ; pour les personnes éveillées, il représente la saison des récoltes.
    Le spectacle continue, quand-bien même vous décideriez de ne pas tenir votre rôle.
    Les grandes œuvres de ce monde sont dues pour la plupart à des personnes qui n’ont cessé de poursuivre leur objectif, même quand tout semblait perdu.
    L’éveil intérieur commence par la prise de conscience de notre ignorance.
    Tournez le visage du côté du soleil et les ombres tomberont derrière vous.
    Tout travail bien fait est du temps utilisé à bon escient.
    Les talents qui nous sont donnés par la nature sont comme des plantes, il faut les tailler par l’étude. (Francis Bacon)



    Ne vous contentez pas d’être bon, soyez bon à quelque chose.
    Hier est la mémoire d’aujourd’hui, demain n’est que le rêve d’aujourd’hui. (Khalil Gibran)
    Profitez de ce qui est bon, endurez ce qui est nécessaire. (Goethe)
    Cherchez d’abord à connaître le sens de vos paroles, parlez ensuite. (Epictète)
    Trois jours sans lecture font des paroles sans saveur.
    Ce n’est pas parce que l’eau est calme qu’il n’y a pas de crocodiles.
    Après la partie, le roi et le pion retournent dans la même boîte.
    On rencontre souvent sa destinée sur la route qu’on a prise pour l’éviter.
    Vivez, prenez du bon temps. Il est plus tard que vous ne pensez.


Et en ce début d'année, la phrase qui m'a le plus interpellée, est prononcée par Paul Auster. L'écrivain, nous dit : "Pour écrire, il faut s'ouvrir à soi-même, et puis se mettre à danser." Il me semble que cette phrase vaut pour l'écrivain, mais si l'on remplace le verbe écrire par vivre, elle vaut pour nous tous.

dimanche 7 janvier 2018

Métaphore



La cire et l'eau chaude. La force de la première impression

"Imaginez un récipient contenant une épaisse couche de cire froide, durcie, dont la surface est tout à fait plate et lisse. Vous prenez une cruche remplie d'eau chaude et vous en répandez un peu sur la cire. L'eau peut librement glisser où elle veut sur cette surface vierge, sans reliefs. Mais, étant chaude, à peine entre-t-elle en contact avec la cire que l'eau en fait fondre le dessus, y imprimant une empreinte peu profonde, comme celle d'un skieur dans de la neige poudreuse. Désormais, la cire présente un léger creux, l'eau chaude ayant tracé un chemin pareil au lit d'une rivière. Si, maintenant, vous répandez à nouveau un peu d'eau chaude dans le même récipient, que va-t-il se produire ? Où qu'elle tombe en premier, l'eau, moins libre que la première fois, va immanquablement rejoindre la trace antérieure qui va dès lors guider son écoulement et s'approfondir un peu. Plus vous versez d'eau, plus la même trace se creuse encore davantage, ne laissant plus guère de liberté à l'eau d'emprunter un autre chemin que celui déjà tracé." 
Cette métaphore, racontée par olivier Clerc, nous dit qu'une première empreinte, une première impression laisse une trace, et que celle-ci influence fortement les empreintes suivantes.




Le principe de cette métaphore s'observe sous de multiples formes. Et la connaissance de ce principe peut nous inciter à mettre davantage de conscience à chaque début, chaque première, chaque défloration d'une situation nouvelle.
On devine l'importance de cette image de la cire et de l'eau chaude dans tout ce qui touche à l'éducation ou l'apprentissage, qu'il s'agisse de la musique, du sport, du bricolage, des arts martiaux, de la danse, de la conduite automobile de l'utilisation de logiciels. L'énergie que nous dépensons à corriger quelque chose qui a été mal appris au départ est maintes fois supérieure à celle que nous demanderait le surcroît d'attention et de conscience nécessaire à effectuer une chose de manière juste la toute première fois.

Nous pouvons aussi en déduire que nombre de nos actes ne sont pas la conséquence d'un choix conscient et éclairé, fondée sur une connaissance approfondie du sujet, mais simplement le résultat de nos habitudes, de l'inertie, qui nous font emprunter machinalement les sillons les plus évidents, les plus usés, même quand ils sont complètement obsolètes, inefficaces ou contre-productifs. 
La métaphore de la cire et de l'eau chaude nous invite donc à discerner, dans notre vie, ce qui est "cire" et ce qui est "eau chaude", ce qui est le résultat de choix conscients que nous continuons d'approuver, ce qui a été inconsciemment hérité du passé (familial, social, religieux), et enfin, ce que nous avons mis volontairement en place mais qui n'a aujourd'hui plus de pertinence.  Pour ce faire, nous devons régulièrement porter un regard neuf sur ce ce que nous avons sous les yeux tous les jours. Ne rien prendre pour acquis. continuer de nous émerveiller, de nous interroger. rester curieux. Remettre l'évidence en question.


Et ainsi, à nous occuper tantôt du fond (la cire sans tomber dans le piège des habitudes) tantôt de la forme (l'eau chaude sans se laisser entraîner dans le piège de tous ceux qui préfèrent créer sans cesse plutôt qu'approfondir), ici de l'esprit et là, de la matière, à alterner entre création et reproduction, conscience et automatismes, tout devient pour nous occasion d'apprentissage et d'intégration, de croissance et d'accomplissement. 



Merci à Olivier Clerc de nous éclairer grâce à cette métaphore très parlante extraite de son livre : La grenouille qui ne savait pas qu'elle était cuite.