dimanche 20 novembre 2016

Lire le monde



"Contempler, c'est communier, c'est faire advenir la beauté." nous dit François Cheng.
Et pour contempler la nature, avons-nous besoin des mots ?

La joie de contempler et de comprendre, voilà le langage que me porte la nature." Einstein

S'il suffit de contempler pour atteindre la compréhension, le poète a la nécessité de trouver les mots pour exprimer la beauté et tenter de nous la transmettre. Dans ce beau poème, Victor Hugo renonce à la lecture pour lire le livre de la nature et il parvient à nous dire : "Il n'est rien qui, bien questionné par l'âme, ne se nomme."





Je lisais. Que lisais-je ? Oh ! le vieux livre austère,
Le poème éternel ! — La Bible ? — Non, la terre.
Platon, tous les matins, quand revit le ciel bleu,
Lisait les vers d'Homère, et moi les fleurs de Dieu.
J'épelle les buissons, les brins d'herbe, les sources ;
Et je n'ai pas besoin d'emporter dans mes courses
Mon livre sous mon bras, car je l'ai sous mes pieds.
Je m'en vais devant moi dans les lieux non frayés,
Et j'étudie à fond le texte, et je me penche,
Cherchant à déchiffrer la corolle et la branche.
Donc, courbé, — c'est ainsi qu'en marchant je traduis
La lumière en idée, en syllabes les bruits, —
J'étais en train de lire un champ, page fleurie.
Je fus interrompu dans cette rêverie ;
Un doux martinet noir avec un ventre blanc
Me parlait ; il disait : « Ô pauvre homme, tremblant
Entre le doute morne et la foi qui délivre,
Je t'approuve. Il est bon de lire dans ce livre.
Lis toujours, lis sans cesse, ô penseur agité,
Et que les champs profonds t'emplissent de clarté !
Il est sain de toujours feuilleter la nature,
Car c'est la grande lettre et la grande écriture ;
Car la terre, cantique où nous nous abîmons,
A pour versets les bois et pour strophes les monts !
Lis. Il n'est rien dans tout ce que peut sonder l'homme
Qui, bien questionné par l'âme, ne se nomme.
Médite. Tout est plein de jour, même la nuit ;
Et tout ce qui travaille, éclaire, aime ou détruit,
A des rayons : la roue au dur moyeu, l'étoile,
La fleur, et l'araignée au centre de sa toile.
Rends-toi compte de Dieu. Comprendre, c'est aimer.
Les plaines où le ciel aide l'herbe à germer,
L'eau, les prés, sont autant de phrases où le sage
Voit serpenter des sens qu'il saisit au passage.
Marche au vrai. Le réel, c'est le juste, vois-tu ;
Et voir la vérité, c'est trouver la vertu.
Bien lire l'univers, c'est bien lire la vie.

Victor Hugo (Les contemplations : Je lisais. _ Que lisais-je ? Extrait

Quelqu'un qui lit bien l'univers et donc la vie, c'est Christian Bobin. Son dernier billet dans le Monde des religions nous le montre une nouvelle fois contemplant la nature et nous donnant à lire le langage de l'univers.




"Lire assouplit l'âme, lui donne cette miraculeuse souplesse des roses trémières, les plus belles habitantes de Vézelay. Elles rasent les murs, mendient un peu de soleil. Ce sont des voyageuses, partant sans cesse en navigation dans l'air blond. Des danseuses à la barre. La basilique et ses os de Marie-Madeleine ne peuvent rivaliser avec ces roses trémières, leur tête dodelinant au bout de leur long cou, bénédiction donnée aux passants fatigués par la rue trop montante. "
Christian Bobin

Le dernier mot à propos de la lecture du monde sera à nouveau pour François Cheng :
"Puisque la beauté est rencontre inattendue, toujours inespérée, seul le regard attentif peut lui conférer étonnement, émerveillement, émotion, jamais identiques." François Cheng





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