dimanche 6 mars 2016

Cérémonie du thé

Toujours fascinée par la cérémonie du thé, je vous livre une histoire, qui, comme celle de Musashi dans "La pierre et le sabre", met en scène un grand maître de thé et un général samouraï.
Nous retrouvons une nouvelle fois l'attention et la concentration extrême que requiert la cérémonie, et la maîtrise de l'énergie que finissent par acquérir les grands maîtres de thé.




"Sen no Rikyû fut le plus grand maître de thé du Japon. Il laissa une si forte empreinte à la cérémonie du thé que sa forme actuelle est encore marquée de son esprit et de son style wabi-sabi. Illustration du dépouillement propice à la méditation, le cha-no-yu tire son origine du monde du zen. C'est un véritable rituel où l'esprit et le corps s'harmonisent pour vivre pleinement l'instant présent. Un moment de recueillement et de communion façonné sous l'influence de grands maîtres zen comme Ikkyû en personne.

Fils d'un forgeron, Katô Kiyomasa était un guerrier intrépide qui s'illustra maintes fois sur les champs de bataille. Sa réputation de stratège redoutable et de seigneur de guerre impitoyable le fit surnommer Ki-shôkan, Général-Démon.Fanatique du bouddhisme de nichiren, il interdisait à ses samouraïs de s'adonner à la poésie et à la danse.Il voulait qu'ils se consacrent exclusivement aux arts martiaux et ne tolérait comme passe-temps que la chasse.
Le patibulaire Katô voyait d'un très mauvais œil que son mentor Hideyoshi se fût entiché de Sen no Rikyû et pratiquait assidûment avec lui la cérémonie du thé. Le général était ulcéré de constater que la mode de ce rituel grotesque se répandait chez les samouraïs qui étaient de plus en plus nombreux à la pratiquer. 
L'exaspération du bouillant guerrier fut à son comble quand, au cours d'un de ces fameux sha-no-yu auquel il était obligé d'assister, le régent dit aux généraux présents :
_ Observez bien mon maître de thé. Quand il accomplit le rituel, il est pareil à un grand samouraï sur le champ de bataille. il n'y a aucune faille dans sa concentration !
C'en était trop !
Ce fils de marchand de poissons comparé à eux qui risquaient leur vie pour leur seigneur ! Décidément, ce Rikyû avait tourné la tête du taïko ! 




Le général-démon décida que, pour le bien du pays, il allait faire disparaître le maître de thé. Il s'arrangerait pour l'assassiner secrètement car si Hideioshi l'apprenait, il ne lui pardonnerait jamais. Il eut l'idée de se faire inviter seul, prétextant qu'il désirait l'entretenir d'une affaire délicate de la plus haute importance.Le sha-no-yu se tient généralement dans un cabanon évoquant la hutte d'un ermite, au cœur du roji, le sentier de rosée, le nom poétique du jardin de thé.Cet endroit isolé était devenu le lieu propice aux conversations confidentielles.C'est ainsi que cette tête brûlée de Katô, en bon stratège, avait ourdi son piège.
Le général fut accueilli au portail du roji par Rikyu qui, avant d'entrer dans le pavillon, lui montra le râtelier où il était d'usage que les invités déposent les armes. 
_ Permettez-moi de garder mon sabre, un véritable samouraï ne s'en sépare jamais !
L'hôte se contenta de sourire et de répondre :
_ Pour vous, nous ferons une exception.
Après avoir passé la porte étroite du cabanon où il fut obligé de s'arc-bouter à contrecœur, le fier général s'assit à la place d'honneur, non loin du foyer où ronronnait la bouilloire. Il déposa son katana  sur le tatami, à sa gauche, et guetta le moment propice pour le dégainer et faucher la tête de son hôte. Rikyu ayant fini d'apporter les ustensiles, était maintenant en train de les purifier avec l'eau chaude, à portée de sabre. Quand Katô fut sur le point d'empoigner son arme pour faire siffler la lame, un rugissement effroyable immobilisa son geste. Le maître de thé avait renversé brusquement la bouilloire sur les braises et un jet de vapeur brûlante fit bondir le samouraï hors du pavillon de thé. Il entendit alors la voix de Rikyû :
_ Veuillez me pardonner, Messire, pour ce malheureux accident dû à un moment d'inattention de ma part. Je suis en train de nettoyer votre sabre qui est couvert de cendres !
Très impressionné par le niveau de perception et le sang-froid du maître de thé qui avait non seulement deviné son intention mais réussi à le désarmer, le Général-Démon renonça à son funeste dessein. Le favori du régent remonta dans son estime et il se mit lui aussi à le fréquenter avec plaisir, à tel point qu'il devint à son tour un adepte du sha-no-yu et un grand collectionneur de bols raku !
Au soir de sa vie, il alla même jusqu'à composer des poèmes !"




Inspiré des Contes des sages zen de Pascal Fauliot (Le maître de thé et le Général-Démon)

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