dimanche 20 décembre 2015

Joyeuse fin d'année

Voici un conte de sagesse pour finir l'année. Il nous fait voyager et réfléchir, bien sûr.
Je vous souhaite une belle fin d'année et beaucoup de contes de Noël !





Cinquante écus de sagesse
Conte d'origine soufie rapporté par Henri Gougaud

Il était une fois un village où les gens se disputaient sans cesse. L'un disait-il bonjour, l'autre lui répondait que le jour n'était pas aussi bon qu'il le prétendait, un troisième estimait qu'il pleuvrait avant le soir tombé, un quatrième braillait que ces supputations météorologiques lui cassaient les oreilles. Bref, ces gens n'étaient d'accord sur rien, sauf sur le fait d'être tous en désaccord.

Or un soir, comme passait un ange sous l'orme de la place, un vieux dit calmement : « Nous manquons de sagesse ». Chacun convint que la raison n'habitait pas chez le voisin d'en face. Pour la première fois on se prit à réfléchir. Le vieux profita de cette marée basse pour avancer une idée qui le tarabustait depuis que sa moitié lui avait cassé le nez d'un coup de poêle à frire. « Mes amis, dit-il, je connais bien Venise, c'est une ville sainte. La sagesse y pousse aussi dru que le chiendent chez nous. Allons en acheter. Nous la cultiverons, et nous vivrons en paix. » Les hommes convinrent qu'en effet quelques graines d'esprit ne seraient pas de trop dans le jardin public. Ils décidèrent donc, puisque dans cette ville on trouvait à profusion de cette denrée rare, d'y faire leur marché. Trois d'entre eux furent désignés. On leur donna cinquante écus, un sac à provisions, une barque, et dès l'aube du lendemain, ils hissèrent la voile. 



A peine débarqués à Venise, ils coururent après les gens. « Hé, monsieur, hé, madame, auriez-vous de la sagesse à vendre ? » On les crut fous, on haussa les épaules.
Tout le jour ils coururent les places et les ruelles. Au soir, comme ils interrogeaient une servante sourde dans un recoin de taverne, un malandrin vint s'asseoir à leur table. « De la sagesse ? dit-il. J'en vends. Il m'en reste un coffret. Je peux vous le céder pour cinquante écus d'or. C'est donné. » Les autres lui tendirent leur bourse. L'escroc s'en fut dans l'arrière-cuisine, attrapa une souris, la fourra dans une boîte, revint et dit aux trois compères : « Ne soulevez pas ce couvercle avant d'être chez vous. La sagesse est dedans. Son parfum est fragile, craignez qu'il ne s'évente. Bon retour, heureux hommes ! » Les trois godelureaux s'en furent satisfaits, chacun voulant porter leur trésor sous le bras.
Le lendemain, ils reprirent la mer. Or comme ils naviguaient : « Puisque cette sagesse doit être partagée, dit l'un, j'ai envie d'en flairer l'odeur, en guise de hors d'oeuvre ». « Bonne idée. Moi aussi », répondit le deuxième. Le troisième ouvrit donc la boîte. La souris aussitôt bondit dehors et bientôt disparut dans le fond du navire. Les hommes lui coururent après. Ce fut en vain. Ils débarquèrent au village penauds comme des pénitents. Ils avouèrent tout. « La sagesse ? On aurait dit un rat. Elle nous a échappé. Elle s'est cachée quelque part dans la cale. »




On gronda autour d'eux. On leva des bâtons. Alors le vieux ouvrit les bras et dit :
« La sagesse, messieurs, est là dans ce bateau. C'est le point essentiel. Tirons-le donc au sec. Qu'on monte la garde autour de lui afin qu'elle n'en sorte pas, et nous irons tous les dimanches dans ce temple nouveau nous imprégner de son parfum. Ainsi nous deviendrons des gens estimés de Dieu. » Ils firent ainsi.

Et de ce jour, chacun redoutant l’œil pointu du voisin, ils prétendirent tous avoir le nez sensible et ne parlèrent plus, sereins comme des papes, que de beautés profondes. 



dimanche 13 décembre 2015

L'année 2016

La conférence du 4 décembre était l'occasion pour Sylvie Lafuente Sampietro de nous livrer sa vision de l'année 2016 à travers le prisme de l'astrologie mondiale. Et nous avons assisté à une très belle conférence vendredi dernier : riche, passionnante et pleine d'enseignements sur les enjeux qui attendent notre monde.




Sylvie Lafuente Sampietro nous a d'abord campé les personnages qui vont intervenir dans cette histoire (Les personnages sont incarnés par les planètes, qui en astrologie mondiale représentent les différentes parties de notre inconscient collectif).
L'alchimiste (Pluton), l'idéologue (Neptune), le révolutionnaire (Uranus), l'organisateur (Saturne), l'amplificateur (Jupiter) et le combattant (Mars) sont donc les protagonistes de notre théâtre.
Entre eux, bien évidemment, se tissent des relations. En 2016, beaucoup de ses relations sont tendues et nous en voyons les conséquences au plan mondial. 
Nous aurons encore cette année une forte poussée de l'alchimiste et du révolutionnaire, qui nous entraînent avec force et violence vers le futur et un monde nouveau depuis 2012. S'y ajoutent une crise idéologique et humaniste et une crise de conscience au sujet de nos projets de développement qui sur un plan positif devraient nous aider à aller dans le sens du futur et du renouveau.




Pour aller vers le nouveau monde qui est en train de naître, nous avons un cap délicat à franchir.
Les relations entre les protagonistes nous demandent pourtant d'aller vers le futur et de nous engager. Mais nous sommes en guerre, une guerre qui va durer et pour laquelle il nous faut trouver de nouvelles méthodes d'action.
Le titre de cette conférence était : "Réfléchir et se réorienter", alors qu'en 2015, nous devions "Agir en toute lucidité".
Le titre fait référence aux positions des planètes entre elles. Il concerne donc nos objectifs pour l'année, au niveau collectif mais aussi au niveau individuel. Réfléchir, revenir à l'essentiel, clarifier nos idéaux et nos projets, nous réorienter en étant créateurs, voilà ce qui nous est demandé en cette année qui va bientôt commencer. A chacun de nous de nous poser ces questions qui vont également interroger les états et le monde. Nous sommes tous sur le même vaisseau terre et nous sommes tous partie prenante de son aventure.


"Juger, c'est de toute évidence ne pas comprendre puisque, si l'on comprenait, on ne pourrait pas juger." André Malraux




Si vous n'avez pu suivre cette conférence, vous pouvez :
- louer le CD à l'association et l'écouter chez vous
- aller à Paris le 16 janvier pour écouter Sylvie Lafuente Sampietro présenter à nouveau cette conférence à l'Arbre aux oiseaux (60 rue Saint-Sabin 75011 Paris).

dimanche 6 décembre 2015

Terre Mère

Quelle est notre relation à la nature ? Jusqu'où pouvons-nous aller pour la transformer ?
Beaucoup ne se posent pas la question et ont de tous temps fait ce qui leur semblait le mieux pour eux, sans souci de la terre qui les nourrit.
D'autres cependant, tels les Amérindiens pour qui la Terre-Mère est la déesse qu'il faut respecter comme une mère ne comprennent pas que l'on puisse l’abîmer et pensent qu'elle peut en retour exprimer sa colère.





" Vous me demandez de labourer la Terre ! Prendrai-je un couteau pour déchirer le sein de ma mère ? Alors, quand je mourrai, elle ne me prendra pas dans son sein pour que j’y repose. Vous me demandez de creuser pour extraire des pierres ! Creuserai-je sous sa peau pour prendre ses os ? Alors, quand je mourrai, je ne pourrai pas entrer dans son corps pour naître de nouveau. Vous me demandez de couper l’herbe, d’en faire du foin et de le vendre, et de m’enrichir comme les hommes blancs. Mais comment oserais-je couper la chevelure de ma mère ? »
L’idée que la Terre est la mère de tout ce qui existe est le fondement, non seulement  de la religion de[/du chef] Smohalla, mais de la pensée religieuse des tribus Indiennes […] Pour la pensée Indienne, le maïs, les fruits, les racines comestibles sont les dons  que la Terre Mère donne avec générosité à ses enfants. Lacs et étangs sont ses yeux, les collines, ses seins, et les torrents, le lait qui coule à flots de sa poitrine. Tremblements de terre et bruits souterrains sont les signes de sa colère quand ses enfants agissent mal.
James Mooney. La Religion de la Danse des Esprits et la révolte Sioux de 1890 (passage cité par A-M Marina-Mediavilla, 1998, dans sa préface de Colline de Giono).


Plus près de nous, je redécouvre Jean Giono, que j'ai lu il y a déjà pas mal d'années,  romancier de la terre qui savait nous raconter la vie des campagnes avec bonheur. Lui aussi était un amoureux de la nature, saisi parfois de terreur à l'idée que la terre vivante pourrait se rebeller contre le paysan qui la modifie :

Pour la première fois, il pense, tout en bêchant, que sous ces écorces monte un sang  pareil à son sang à lui : qu’une énergie farouche tord ces branches et lance ces jets d’herbes dans le ciel. […]
Ainsi, autour de lui, sur cette terre, tous ses gestes font souffrir ?
Il est donc installé dans la souffrance des plantes et des bêtes ?
Il ne peut donc pas couper un arbre sans tuer ?
Il tue, quand il coupe un arbre.
Il tue quand il fauche…
Alors, comme ça, il tue tout le temps ? Il vit comme une grosse barrique qui roule en écrasant tout autour de lui ?
C’est donc tout vivant ?
Janet l’a compris avant lui.
Tout : bêtes, plantes, et, qui sait ? peut-être les pierres aussi.
Alors, il ne peut plus lever le doigt sans faire couler des ruisseaux de douleur ?
Il se redresse : appuyé sur le manche de l’outil, il regarde la grande terre couverte de cicatrices et de blessures.

Cette terre !
Cette terre qui s’étend, large de chaque côté, grasse, lourde, avec sa charge d’arbres et d’eaux, ses fleuves, ses ruisseaux, ses forêts, ses monts, ses collines, et ses villes rondes qui tournent au milieu des éclairs, ses hordes d’hommes cramponnés à ses poils, si c’était une créature vivante, un corps ? […]
Ce val, ce pli entre les collines, où je suis en train de gratter, s’il allait bouger sous le coupant de ma bêche ?
Un corps !
Avec de la vie ! […]
Une vie immense, très lente, mais terrible par sa force révélée, émeut le corps formidable de la terre, circule de mamelons en vallées, ploie la plaine, courbe les fleuves, hausse la lourde chair herbeuse.
Tout à l’heure, pour se venger, elle va me soulever en plein ciel jusqu’où les alouettes  perdent le souffle.

Jean Giono  - Colline



Cette relation que nous avons à la nature et ce regard que nous portons sur elle est un échange. Et comme le dit si justement Martin Buber : "Ne cherchez pas à établir le sens de cette relation. Toute relation est réciprocité."

"Je considère un arbre : je peux le percevoir en tant qu'image, pilier rigide sous l'assaut de la lumière ou verdure jaillissante inondée de douceur. Je peux le sentir comme un mouvement, réseau gonflé des vaisseaux, succion des racines, respiration des feuilles, échange sans fin de la terre et du ciel, et cette obscure croissance elle-même.
Je peux le ranger dans une espèce, voir en lui un exemplaire sur lequel j'étudierai la structure et les modes de la vie.
Je peux annihiler si durement son existence au régime formel que je ne voie plus en lui que l'expression d'une loi.
Je peux le volatiliser et l'éterniser en le réduisant à un nombre, à un pur rapport numérique.
L'arbre n'a pas cessé d'être. Il a gardé sa place dans l'espace et le temps, sa nature et sa façon d'être, la puissance de ce qu'il a d'unique m'a saisi. Il n'est rien dont je ne doive faire abstraction pour le voir, rien que je doive oublier, au contraire. L'image et le mouvement, l'espèce et l'exemplaire, la loi et le nombre, tout a sa place dans cette relation, tout y est indissolublement uni.
Ce n'est pas une impression que cet arbre, ni un jeu de ma représentation, ni une valeur émotive. Il dresse en face de moi sa réalité corporelle. Il a affaire à moi, comme j'ai affaire à lui, mais d'une autre manière."
Martin Buber - Le je et le tu

Réfléchir et reconsidérer notre relation à la nature : le sujet est vaste mais plus puissant que de vouloir sauver l'humanité en réduisant ses déchets.




Les textes m'ont été inspirés par Jean-Claude Ameisen (une nouvelle fois !).